
La pratique de la chasse en France s’inscrit dans un cadre juridique complexe où s’entremêlent droit rural, droit de l’environnement et droit de propriété. Les baux de chasse, contrats par lesquels un propriétaire concède temporairement son droit de chasse à un tiers, constituent l’un des piliers de cette activité. Néanmoins, ces conventions peuvent être source de litiges, notamment lorsqu’un riverain estime que ses droits ou intérêts sont lésés par l’exercice de la chasse. La révocation d’un bail de chasse à l’initiative d’un riverain soulève des questions juridiques fondamentales touchant à la fois au respect de la propriété privée, à la sécurité des personnes et à la préservation de l’environnement. Cette problématique, au carrefour de plusieurs branches du droit, mérite une analyse approfondie des fondements légaux, de la jurisprudence et des procédures applicables.
Cadre Juridique du Bail de Chasse en France
Le bail de chasse constitue un contrat spécifique qui trouve son fondement dans les dispositions du Code civil relatives aux baux ruraux, mais s’en distingue par son objet particulier. Il s’agit d’une convention par laquelle un propriétaire foncier cède temporairement son droit de chasse à un preneur, qu’il s’agisse d’un particulier, d’une association de chasseurs ou d’une société de chasse.
En droit français, le droit de chasse est un attribut du droit de propriété, comme le précise l’article L.422-1 du Code de l’environnement : « Nul n’a la faculté de chasser sur la propriété d’autrui sans le consentement du propriétaire ou de ses ayants droit. » Cette disposition fondamentale établit clairement que le propriétaire dispose de la prérogative exclusive d’autoriser ou non la chasse sur ses terres.
Le bail de chasse peut prendre diverses formes juridiques :
- Le bail civil de chasse, soumis aux règles générales du Code civil (articles 1709 et suivants)
- Le bail rural comportant des clauses cynégétiques, encadré par le Code rural et de la pêche maritime
- La location du droit de chasse en forêt domaniale, régie par le Code forestier et organisée par l’Office National des Forêts
La durée du bail de chasse est généralement fixée par les parties, mais elle s’étend traditionnellement sur plusieurs années pour permettre une gestion cynégétique cohérente. Dans la pratique, des baux de trois, six ou neuf ans sont couramment conclus, avec possibilité de renouvellement tacite en l’absence de congé donné dans les délais impartis.
Les obligations des parties au contrat sont multiples. Le bailleur doit garantir la jouissance paisible du terrain pour l’exercice de la chasse, tandis que le preneur s’engage à respecter les limites du terrain, à préserver la faune et la flore, à respecter les périodes de chasse, et à s’acquitter du loyer convenu. Ce dernier peut être fixé en numéraire ou en nature (remise de gibier).
Il convient de noter que le régime juridique applicable varie selon les territoires. Dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, un droit local spécifique s’applique : le droit de chasse y est administré par les communes qui procèdent à des adjudications publiques tous les neuf ans, indépendamment de la volonté des propriétaires fonciers.
En ce qui concerne les réserves de chasse et les zones protégées, des dispositions particulières du Code de l’environnement s’appliquent, limitant voire interdisant l’exercice de la chasse dans certains périmètres définis. Ces restrictions peuvent constituer des motifs légitimes pour un riverain de contester l’exercice de la chasse à proximité de son domicile.
Les Fondements Juridiques de l’Action d’un Riverain
Un riverain souhaitant contester un bail de chasse dispose de plusieurs fondements juridiques pour appuyer son action. Ces bases légales varient selon la nature exacte du préjudice invoqué et la situation particulière du demandeur.
Le premier fondement repose sur les troubles anormaux de voisinage, théorie prétorienne consacrée par la jurisprudence de la Cour de cassation. Selon cette théorie, nul ne doit causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage. Ainsi, lorsque l’exercice de la chasse génère des nuisances sonores excessives (tirs répétés), des intrusions régulières sur une propriété privée, ou constitue un danger pour les personnes ou les animaux domestiques, le riverain peut invoquer ce fondement. La Cour de cassation, dans un arrêt du 12 septembre 2018 (n°17-22.031), a confirmé que l’activité cynégétique, même légalement autorisée, peut constituer un trouble anormal de voisinage lorsqu’elle excède certaines limites.
Le deuxième fondement s’appuie sur le droit de la responsabilité civile, notamment l’article 1240 du Code civil (ancien article 1382) qui dispose que « tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». Le riverain doit alors démontrer la faute du preneur du bail (non-respect des distances de sécurité, tirs en direction des habitations), le préjudice subi, et le lien de causalité entre cette faute et le dommage.
Le troisième fondement relève du droit pénal. Plusieurs infractions peuvent être caractérisées dans le cadre de l’exercice de la chasse :
- La mise en danger délibérée de la vie d’autrui (article 223-1 du Code pénal)
- Les atteintes involontaires à l’intégrité physique (articles 222-19 et suivants du Code pénal)
- Les infractions spécifiques au Code de l’environnement, comme le fait de chasser sur le terrain d’autrui sans consentement (article L.428-1)
Le quatrième fondement s’inscrit dans le droit de l’urbanisme et le droit de l’environnement. La proximité d’une zone de chasse avec des habitations peut contrevenir aux règles d’urbanisme locales ou aux dispositions du Schéma Départemental de Gestion Cynégétique (SDGC) établi conformément à l’article L.425-1 du Code de l’environnement. Ce schéma fixe notamment les règles de sécurité à respecter lors des actions de chasse.
Enfin, le riverain peut invoquer la violation des clauses du bail de chasse lui-même, s’il parvient à établir que le preneur ne respecte pas les conditions fixées contractuellement. Pour ce faire, le riverain devra démontrer son intérêt à agir, ce qui peut s’avérer complexe s’il n’est pas partie au contrat. La jurisprudence admet néanmoins qu’un tiers au contrat puisse agir lorsque l’inexécution contractuelle lui cause personnellement un préjudice.
Dans un arrêt notable du 27 mars 2020, la Cour d’appel de Nancy a reconnu le droit d’un riverain d’obtenir la révocation d’un bail de chasse au motif que l’aménagement d’un poste de tir à proximité immédiate de sa propriété constituait un danger manifeste pour sa sécurité et celle de sa famille.
Procédures Juridiques pour Contester un Bail de Chasse
Le riverain souhaitant contester un bail de chasse dispose de plusieurs voies procédurales, dont le choix dépendra de l’objectif poursuivi et de l’urgence de la situation. Ces procédures peuvent être menées de façon parallèle ou successive, selon la stratégie juridique adoptée.
La première démarche, souvent négligée mais pourtant fondamentale, consiste en une tentative de règlement amiable. Le riverain peut ainsi adresser un courrier recommandé avec accusé de réception au preneur du bail et/ou au propriétaire bailleur, exposant précisément les troubles subis et demandant qu’il y soit mis fin. Cette démarche, outre qu’elle peut aboutir à une solution négociée, constituera une preuve utile de la bonne foi du riverain en cas de procédure judiciaire ultérieure. Depuis la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation pour la justice, la tentative de résolution amiable est d’ailleurs obligatoire avant toute saisine du tribunal pour les litiges dont l’enjeu est inférieur à 5 000 euros.
En cas d’échec du règlement amiable, ou face à une situation d’urgence, le riverain peut recourir à la procédure de référé devant le président du tribunal judiciaire territorialement compétent. Cette procédure, régie par les articles 834 et suivants du Code de procédure civile, permet d’obtenir rapidement des mesures provisoires lorsqu’il existe un trouble manifestement illicite ou un risque de dommage imminent. Le juge des référés pourra ainsi ordonner la suspension temporaire des activités de chasse dans un périmètre déterminé ou imposer des mesures de sécurité spécifiques.
Pour une action au fond visant à obtenir la révocation définitive du bail de chasse, le riverain devra saisir le tribunal judiciaire par voie d’assignation. Cette procédure, plus longue mais plus complète, permettra au tribunal d’examiner l’ensemble des éléments du litige et de prononcer, le cas échéant, la résiliation du bail pour inexécution des obligations contractuelles (article 1224 du Code civil).
Parallèlement, si les faits constatés constituent des infractions pénales, le riverain peut déposer une plainte simple auprès des services de gendarmerie ou de police, ou une plainte avec constitution de partie civile devant le juge d’instruction. Cette dernière option, plus contraignante mais plus efficace en cas d’inaction du Parquet, nécessite la consignation préalable d’une somme d’argent fixée par le juge d’instruction.
Sur le plan administratif, le riverain peut également :
- Saisir le préfet d’une demande de révision du Schéma Départemental de Gestion Cynégétique
- Contester devant le tribunal administratif les autorisations administratives délivrées pour l’exercice de la chasse
- Alerter l’Office Français de la Biodiversité (OFB) en cas d’infractions à la réglementation sur la chasse
L’élément probatoire revêt une importance capitale dans ces procédures. Le riverain devra constituer un dossier solide comprenant des témoignages, des photographies, des enregistrements sonores (dans le respect de la législation sur la vie privée), des constats d’huissier, voire des rapports d’expertise établissant la réalité et l’ampleur des troubles allégués.
La jurisprudence montre que les tribunaux accordent une attention particulière à la proximité géographique entre la zone de chasse et les habitations, ainsi qu’à la fréquence et à l’intensité des troubles. Dans un arrêt du 3 juin 2021, la Cour d’appel de Bordeaux a ainsi prononcé la résiliation d’un bail de chasse après avoir constaté que des tirs étaient régulièrement effectués à moins de 150 mètres d’une habitation, en violation des règles de sécurité fixées par le Schéma Départemental de Gestion Cynégétique.
Analyse de la Jurisprudence et Cas Pratiques
L’examen de la jurisprudence relative aux contentieux opposant des riverains aux titulaires de baux de chasse révèle plusieurs tendances significatives et permet d’identifier les critères déterminants dans l’issue de ces litiges.
Dans une décision marquante du 15 octobre 2015, la Cour de cassation (3ème chambre civile, n°14-23.612) a confirmé la révocation d’un bail de chasse au motif que le preneur avait installé des miradors à moins de cent mètres d’habitations, créant ainsi un risque avéré pour la sécurité des résidents. Cette jurisprudence établit clairement que la proximité des installations cynégétiques avec les zones habitées constitue un élément déterminant dans l’appréciation du trouble.
La Cour d’appel de Metz, dans un arrêt du 7 février 2019, a quant à elle considéré que la présence d’une maison isolée au milieu d’un territoire de chasse n’était pas suffisante pour caractériser un trouble anormal de voisinage, dès lors que les chasseurs respectaient scrupuleusement les distances de sécurité et limitaient leurs interventions à des horaires raisonnables. Cette décision souligne l’importance du comportement des chasseurs et du respect des règlements dans l’appréciation judiciaire.
Sur le plan pénal, la Cour de cassation (chambre criminelle, 8 janvier 2020, n°19-80.178) a confirmé la condamnation d’un chasseur pour mise en danger délibérée de la vie d’autrui après qu’il eut tiré en direction d’une habitation, bien qu’aucun impact n’ait été relevé sur le bâtiment. Cette jurisprudence illustre la sévérité des tribunaux face aux comportements mettant en péril la sécurité des riverains.
En matière administrative, le Conseil d’État (6ème chambre, 22 novembre 2018, n°414357) a validé l’arrêté préfectoral suspendant temporairement un bail de chasse suite à des incidents répétés et à des plaintes de riverains. Cette décision confirme le pouvoir de l’autorité préfectorale d’intervenir pour préserver l’ordre public et la sécurité des personnes.
Pour illustrer concrètement ces principes jurisprudentiels, voici quelques cas pratiques :
Cas n°1 – Le mirador trop proche
La famille Dupont découvre qu’une association de chasse a installé un mirador à 80 mètres de leur jardin, d’où des tirs sont régulièrement effectués en direction d’un champ adjacent à leur propriété. Après plusieurs tentatives infructueuses de dialogue, les Dupont saisissent le juge des référés qui ordonne le démontage du mirador et interdit les tirs dans un rayon de 150 mètres autour de l’habitation, conformément au Schéma Départemental de Gestion Cynégétique.
Cas n°2 – Les battues intempestives
M. Martin, propriétaire d’un gîte rural, constate une baisse significative de sa fréquentation touristique en raison de battues organisées chaque week-end pendant la saison de chasse. Après avoir fait constater par huissier le niveau sonore des tirs et recueilli les témoignages de clients mécontents, il obtient du tribunal judiciaire un jugement limitant les battues à un samedi par mois et imposant un affichage préalable des dates retenues.
Cas n°3 – Le non-respect des limites de propriété
La SCI Les Chênes constate que des chasseurs pénètrent régulièrement sur sa propriété clôturée malgré l’apposition de panneaux « Chasse interdite ». Après avoir identifié la société de chasse responsable, la SCI engage une action en justice et obtient la résiliation du bail de chasse conclu avec le propriétaire voisin, ainsi que des dommages-intérêts pour violation de propriété.
Ces exemples jurisprudentiels et cas pratiques démontrent que les tribunaux procèdent à une analyse circonstanciée de chaque situation, en tenant compte de multiples facteurs : distance entre zone de chasse et habitations, fréquence et intensité des troubles, comportement des parties, respect des réglementations locales, et existence éventuelle d’un risque pour la sécurité des personnes.
Stratégies et Recommandations pour une Action Efficace
Face à la complexité juridique entourant la contestation d’un bail de chasse, le riverain doit adopter une approche méthodique et stratégique pour maximiser ses chances de succès. Voici des recommandations pratiques basées sur l’expérience contentieuse en la matière.
Avant toute action judiciaire, la constitution d’un dossier probatoire solide est primordiale. Le riverain doit documenter systématiquement les troubles subis en :
- Tenant un journal de bord précis des incidents (dates, heures, nature des troubles)
- Réalisant des enregistrements vidéo et audio des nuisances, dans le respect du droit à l’image
- Faisant établir des constats d’huissier, particulièrement efficaces sur le plan probatoire
- Recueillant des témoignages écrits de voisins ou visiteurs attestant des troubles
- Conservant toute correspondance avec les chasseurs, le bailleur ou les autorités
La recherche d’informations juridiques constitue la deuxième étape stratégique. Le riverain devra :
Se procurer une copie du bail de chasse auprès du bailleur ou des services fiscaux (les baux de chasse sont soumis à enregistrement). Cette démarche peut nécessiter l’assistance d’un avocat si des difficultés d’accès sont rencontrées.
Consulter le Schéma Départemental de Gestion Cynégétique applicable, disponible en préfecture ou auprès de la Fédération Départementale des Chasseurs, pour identifier d’éventuelles violations des règles de sécurité.
Vérifier les arrêtés préfectoraux relatifs à l’exercice de la chasse dans le département, qui peuvent contenir des dispositions spécifiques concernant les distances de sécurité ou les horaires autorisés.
S’informer sur le Plan Local d’Urbanisme (PLU) de la commune, qui peut comporter des restrictions à l’exercice de la chasse dans certaines zones.
Le choix du fondement juridique approprié est déterminant pour l’issue de la procédure. Selon les circonstances, certains fondements s’avèreront plus pertinents que d’autres :
En cas de risque immédiat pour la sécurité, l’action en référé fondée sur le trouble manifestement illicite (article 835 du Code de procédure civile) offre une réponse rapide.
Face à des nuisances récurrentes mais sans danger immédiat, l’action au fond basée sur la théorie des troubles anormaux de voisinage pourra être privilégiée.
Si des infractions caractérisées sont constatées (tir en direction des habitations, chasse hors des périodes autorisées), la voie pénale constituera un levier particulièrement efficace.
La stratégie relationnelle ne doit pas être négligée. Avant d’engager une procédure contentieuse, le riverain aura intérêt à :
Tenter une médiation avec les chasseurs et le propriétaire bailleur, éventuellement avec l’assistance du maire de la commune.
Solliciter l’intervention de la Fédération Départementale des Chasseurs, qui dispose d’un pouvoir disciplinaire sur ses adhérents et peut jouer un rôle modérateur.
Alerter les services de gendarmerie ou de police en cas d’incident grave, afin qu’un procès-verbal soit dressé.
Sur le plan tactique, il peut être judicieux de :
Coordonner son action avec d’autres riverains concernés, ce qui renforcera la légitimité de la démarche et permettra de mutualiser les frais de procédure.
Médiatiser le conflit avec discernement, la pression de l’opinion publique pouvant parfois accélérer la résolution du litige.
Anticiper les arguments de la partie adverse, notamment ceux relatifs à l’antériorité de la chasse par rapport à l’installation du riverain (« préoccupation »).
Enfin, le recours à un avocat spécialisé en droit rural et en droit de l’environnement constitue un atout majeur. Ce professionnel pourra :
Évaluer objectivement les chances de succès de l’action envisagée
Identifier le fondement juridique le plus pertinent
Rédiger des actes procéduraux conformes aux exigences formelles
Représenter efficacement le riverain lors des audiences
Négocier un accord transactionnel si une opportunité se présente
La Cour de cassation, dans un arrêt du 5 février 2020 (n°18-21.246), a d’ailleurs souligné l’importance d’une expertise juridique dans ces litiges complexes, en cassant un arrêt d’appel qui n’avait pas suffisamment caractérisé le trouble anormal de voisinage allégué par un riverain.
Perspectives d’Évolution du Droit et Équilibre des Intérêts
Le contentieux relatif aux baux de chasse s’inscrit dans une dynamique juridique en constante évolution, influencée par des considérations sociétales, environnementales et sécuritaires. Plusieurs tendances se dessinent, annonçant de possibles transformations du cadre normatif applicable.
La sécurisation accrue des activités cynégétiques constitue un axe majeur d’évolution législative et réglementaire. Suite à plusieurs accidents mortels impliquant des non-chasseurs, le législateur a renforcé les exigences en matière de sécurité à la chasse. La loi n°2019-773 du 24 juillet 2019 a ainsi introduit de nouvelles dispositions visant à prévenir les accidents, notamment l’obligation de formation décennale à la sécurité pour tous les chasseurs. Cette tendance devrait se poursuivre, avec l’instauration probable de distances minimales de sécurité uniformisées à l’échelle nationale entre zones de chasse et habitations.
L’évolution des mentalités et la pression sociétale jouent également un rôle significatif. La chasse, autrefois activité rurale traditionnelle peu contestée, fait aujourd’hui l’objet de débats sociétaux intenses. L’urbanisation croissante des campagnes amène dans les territoires ruraux de nouveaux habitants, souvent moins familiers avec les pratiques cynégétiques et plus enclins à les contester. Cette évolution démographique et sociologique pourrait conduire à une redéfinition des équilibres entre droit de chasse et droit à la tranquillité des riverains.
Sur le plan jurisprudentiel, on observe une tendance des tribunaux à accorder une importance croissante au principe de précaution et à la protection de l’environnement. Dans un arrêt notable du 13 mars 2021, la Cour d’appel de Rennes a ainsi validé la suspension d’un bail de chasse dans une zone où la présence d’espèces protégées avait été documentée, malgré l’absence de violation caractérisée des termes du bail. Cette jurisprudence illustre l’émergence d’un droit cynégétique plus attentif aux enjeux écologiques.
Les innovations technologiques pourraient également transformer la pratique de la chasse et, par conséquent, le contentieux afférent. L’utilisation de systèmes GPS pour délimiter précisément les zones de chasse, d’applications mobiles d’alerte pour prévenir les riverains des battues programmées, ou encore de dispositifs de tir « intelligents » limitant les risques d’accidents, pourrait réduire significativement les conflits entre chasseurs et riverains.
Face à ces évolutions, la recherche d’un équilibre des intérêts demeure l’enjeu central. Plusieurs pistes peuvent être envisagées pour concilier droit de chasse et droits des riverains :
- L’institutionnalisation de commissions locales de concertation réunissant chasseurs, propriétaires et riverains
- Le développement de chartes de bonnes pratiques annexées aux baux de chasse
- L’instauration de médiateurs cynégétiques départementaux chargés de résoudre les conflits d’usage
- La création de zones tampons autour des habitations, où la chasse serait interdite ou strictement encadrée
L’analyse comparative des législations étrangères offre des perspectives intéressantes. En Allemagne, par exemple, le système des « Jagdgenossenschaften » (associations communales de chasse) implique davantage les propriétaires fonciers et les collectivités dans la gestion cynégétique, réduisant ainsi les contentieux. En Suisse, la pratique du « Patentsystem » (système de patentes) limite strictement le nombre de chasseurs sur un territoire donné et impose des formations approfondies, contribuant à une chasse plus responsable et mieux acceptée socialement.
En définitive, l’avenir du contentieux relatif aux baux de chasse s’oriente probablement vers un encadrement plus strict des pratiques cynégétiques, une meilleure prise en compte des droits des riverains, et le développement de mécanismes préventifs de résolution des conflits. Cette évolution, si elle peut restreindre certaines libertés traditionnellement associées à la chasse, vise à garantir une coexistence harmonieuse entre les différents usagers de l’espace rural, dans le respect du droit de propriété et des impératifs de sécurité publique.
La récente proposition de loi n°3813 déposée à l’Assemblée nationale le 27 janvier 2023, visant à renforcer la protection des riverains face aux activités cynégétiques, illustre cette tendance et pourrait, si elle était adoptée, constituer un tournant significatif dans l’équilibre juridique entre chasseurs et riverains.